Bill Gates est aujourd'hui l'homme le plus riche du monde. Le plus généreux aussi. Avant même que l'as de la finance Warren Buffet eût décidé de lui léguer sa propre fortune, la fondation qu'il a créée avec son épouse Melinda était déjà la plus richement dotée de toute l'histoire. Les sommes que cette Fondation consacre à la lutte contre les fléaux, tels que le paludisme ou le VIH, rivalisent avec celles versées par les Etats ou les instances internationales, telles que l'OMS.
Mais ce capitaine d'industrie qui a fait fortune grâce à son génie informatique et à son sens des affaires est voué, dans le même temps, aux gémonies pour le monopole qu'exerce Microsoft dans l'univers des systèmes d'exploitation et des logiciels. Entre procès planétaires pour abus de position dominante et mécénat humanitaire, ce "prince moderne" ne cesse de nous surprendre.
Bill Gates est-il vraiment un prince moderne ?
Il ne viendrait à l'idée de personne, en ces temps démocratiques, de décerner de pareilles laudes à tel ou tel monarque européen ou prince d'opérette. Et encore moins à ces princes moyen-orientaux dont la modernité ne vaut que par les limousines et jets privés qu'ils collectionnent. Le prince moderne est une expression inspirée au philosophe marxiste Antonio Gramsci par le traité de sciences politiques que Machiavel a dédié à Laurent de Médicis, dit "le Magnifique".
On compare la fortune de Bill Gates à celle de Laurent de Médicis. Cette comparaison peut être étendue à la munificence de leur mécénat. L'un s'est attaché aux arts et aux sciences, notre contemporain - à l'exception d'une seule intrusion dans le monde de l'art pour s'approprier l'un des Codex de Léonard de Vinci - consacre sa fortune à l'action humanitaire.
Laurent de Médicis a reçu sa fortune en héritage de son illustre famille, qui constitua une richesse mondiale par le commerce et la banque. Son florin inonda les cours d'Europe que le Médicis tenait par son crédit. Bill Gates, roturier, s'est enrichi en moins de 30 ans grâce à son génie des affaires.
Si l'histoire n'est pas encore totalement écrite pour Bill Gates, nous connaissons celle du "Magnifique" : il côtoya et encouragea les plus grands artistes et lettrés de son temps. Les lister donne le vertige : Michel-Ange, Léonard de Vinci, Botticelli, Pic de la Mirandole… Mais l’immense mécène se révéla piètre homme d'affaires, car s'il ne finit pas ruiné, il dilapidera dans des affaires hasardeuses l'argent de la banque, fondée par son grand-père Cosme. Il mourra à 43 ans, un âge déjà avancé pour l'époque, l'année de la découverte du Nouveau monde, qui portera le nom de son ami Amerigo Vespucci. Déjà la mondialisation. Il laissera trois héritiers, trois fils : dont Pierre, le grand-père de Catherine de Médicis, et Jean, qui deviendra Pape sous le nom de Léon X. Belle descendance !
Bill Gates, depuis cette même Amérique, un demi millénaire plus tard, a fait fortune en investissant son talent dans la révolution informatique qui a transformé notre société à la fin du 20e siècle. Capitaine d'industrie d'exception, servi par une nouvelle forme de mondialisation, les outils qu'a développés sa firme équipent 9 ordinateurs sur 10 et ne cessent d'imposer leur monopole. Au sommet de sa réussite personnelle et fortune faite (et quelle fortune !), notre quinqua annonce mi-juin qu’il décide de lâcher le pouvoir pour se consacrer à ses "œuvres". Non sans avoir déshérité partiellement ses enfants. Autres temps, autres mœurs.
Comme Laurent de Médicis, Bill Gates est un capitaine… un capitaine d'industrie. Son champ de bataille : les marchés, la concurrence, la Bourse…
Foin d'angélisme, on ne devient pas numéro 1 mondial sans avoir blessé, sans avoir tué professionnellement des opposants ou sans avoir absorbé tel ou tel concurrent et, dans bien des cas, en faisant fi des réglementations anti-monopole et positions dominantes. Mais face à cet itinéraire de vif-argent, ce capitaine d'industrie est assez magnanime pour convertir ses milliards de dollars en programmes d'aide aux victimes de la plus grande tragédie humaine, le sida.
Misanthrope d'un côté, philanthrope de l'autre, la ressemblance avec Laurent de Médicis n'est-elle pas troublante ? L'emporium de l'un, catholique, est dynastique. Celui de l'autre, protestant, découle d'une prédestination divine attestée par sa réussite sociale.
Le "Magnifique" a consumé sa fortune dans le mécénat artistique et a permis aux plus grands génies de son époque de rivaliser de chefs-d'œuvre. La munificence des princes de la Renaissance ne se préoccupait guère de la misère de leurs sujets mais ils nous ont laissé le patrimoine artistique le plus fabuleux de tous les temps. L'américain a décidé de consacrer le patrimoine qu'il a amassé à une œuvre titanesque de bienfaisance.
Mécénas pour l'un, Saint-François d'Assise pour l'autre ! La modernité de Bill Gates est d’abord dans ce choix. Car la question qui est posée à notre société de plus en plus inégalitaire est plus que jamais celle de l'extrême pauvreté, dans un monde globalisé où plus rien ne peut être caché : de l'hyper luxe à la plus grande misère. Cette modernité s’affiche aussi dans son refus d'un capitalisme dynastique et dans l'affirmation rigoriste d'une éthique méritocratique au point de décider de déshériter très largement ses enfants.
Un véritable prince… moderne !
Antoine Vaccaro
Président du CerPhi (Centre d'étude et de recherche sur la philanthropie)
Vice-Président de TBWA \ CORPORATE
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