De la RSE… à la RSA !
Il y a quelques temps, j’ai participé, avec réticences, à une conférence donnée par le Responsable de la RSE d’une grande entreprise européenne de l’agro-alimentaire. Ecouter des déclarations de bonnes intentions sur la responsabilité sociale d’entreprise d’un acteur du privé n’est pas ce que je considère comme passer une excellente après-midi. Je me suis donc assis à l’arrière de la salle et j’ai sorti mon bloc-notes, compagnon indispensable à la pratique anticipée de deux heures de rêverie. Mais en dépit de mes bonnes intentions, je me suis retrouvé malgré moi en train de porter une attention grandissante à l’orateur… avant de réaliser que j’étais non seulement « accroché » mais réellement convaincu que cette entreprise avant de très bonne pratiques. Un état d’esprit très étrange pour moi dans la mesure où – anglais de naissance mais français d’adoption – je me suis adapté à la pratique compulsive des ONG françaises de dédain du privé.
L’entreprise dont il s’agissait s’appliquait consciencieusement l’adage « Il faut balayer devant sa porte... » : au lieu d’augmenter ses dons aux ONG (faisant par là même une multitude de fundraisers heureux !) elle avait commencé à implémenter une stratégie de RSE en étudiant en profondeur sa chaîne de production, ses ressources humaines… et en cherchant comment y injecter à la fois plus d’éthique et de valeur. Tout était passé au crible, du plus petit de ses fournisseurs jusqu’à son Pdg ou ses ouvriers de production… afin de lancer leur organisation dans une nouvelle démarche, plus environnementale, plus éthique, plus durable. A la fin de la présentation, j’ai réalisé avec stupéfaction que mon carnet de notes n’était pas rempli de gribouillages mais d’excellents exemples de RSE en action
Il y a quelques années, Handicap International a décidé de mettre en place une campagne de mailing singulière : l’ensemble du mailing était produit et envoyé depuis le Cambodge afin de maximiser l’impact du message et de limiter les coûts. Ils finançaient un projet pour les enfants défavorisés du Cambodge et leur idée était, en partenariat avec une autre ONG, de mettre en place une unité de fabrication pour leurs mailings employant les mères de ces enfants. Salariées à temps partiel, afin qu’elles puissent continuer de veiller sur leur progéniture, et payées sur la base du service civil, ces femmes trouvaient ainsi un moyen de se remettre en selle. Le mailing a connu un gros succès : 14 millions d’entre eux ont été envoyés au travers de l’Europe francophone. Et plusieurs centaines de femmes ont travaillé dans la fabrique, la plupart d’entre elles ayant retrouvé ensuite un emploi stable.
Deux belles histories, non ? Je vous vois vous interroger sur l’intérêt de les raconter…
Le lien entre elles est simple. Nous savons tous que le concept de RSE est devenu incontournable. Bien sur, certaines multinationales vont en rester aux grandes déclarations sur le sujet pour impressionner leurs actionnaires. Mais les preuves de l’action d’autres compagnies, comme cette entreprise de l’agroalimentaire, démontrent à quel point elles prennent le sujet au sérieux et essaient profondément de réformer leur manière de travailler.
N’est ce pas alors étrange de voir que tandis que les entreprises s’interrogent sur tous ces sujets, les associations ne le font pas. Bien sur elles sont par définition des organisations « éthiques ». Et, de facto, elles font un boulot merveilleux pour changer le monde via leurs programmes de fundraising. Mais combien suivent le fantastique exemple de Handicap International et prennent le temps de réfléchir à la manière d’impliquer leurs parties prenantes et leurs bénéficiaires dans leur collecte de fonds ?
Et si, au lieu de parler de Responsabilité Sociale d’Entreprise, nous commencions à parler de Responsabilité Sociale Associative ?
Je me demande combien d’entre nous peuvent honnêtement dire que, dans leurs campagnes de fundraising, leurs choix tiennent compte de cette notion de Responsabilité Sociale. Probablement peu. Nos mailings sont imprimés à moindre coût, nos sites web développés par des consultants et nos campagnes téléphoniques sont faites par des call center. Nous attribuons les budgets (dont certains sont conséquents) en fonction du prix, du retour sur investissement et de la qualité du produit. Mais en tant qu’associations, ne devrions nous pas octroyer ces budgets se comptant en millions d’euros, de livres ou de dollars à des entreprises impliquées dans la défense de notre cause ? Ne devrions nous pas penser un peu plus à la responsabilité sociale dans nos propres chaînes de fabrication ?
Réfléchissons-y un instant. Nous sommes tous sous pression et nous avons une responsabilité vis à vis de nos donateurs : dépenser leur argent avec le plus de parcimonie possible en veillant au meilleur retour sur investissement. Je ne défends pas la thèse que tout ceux qui le pourraient devraient impérativement choisir un imprimeur au Botswana ! Mais pourquoi une association oeuvrant pour des handicapés ne pourrait elle pas spécifier aux agences en compétition sur la création de son site internet que la celle qui aura le budget devra s’engager à employer et former deux de ses bénéficiaires directs. Et une association de solidarité internationale ne pourrait elle pas demander à son prestataire de télémarketing basé en Afrique de garantir l’emploi de personnes touchées par le Sida.
Avec un peu de créativité et de détermination, il n’y a pas de raisons pour que les fundraisers ne puissent pas impliquer plus leurs bénéficiaires dans leur processus de collecte de fonds. Nous avons une obligation morale à le faire. Et vite. En tant que fundraisers nous nous plaignons que les entreprises s’accaparent nos valeurs d’humanité et de solidarité pour vendre leurs téléphones portables ou leurs machines à laver. Pouvons nous accepter de rester sur le bord de la route tandis qu’elles intègrent la RSE dans leurs chaînes de production ou dans le choix de leurs fournisseurs ?
Et au delà de la valeur morale de la Responsabilité Sociale Associative, n’oublions pas à quel point il nous est difficile de convaincre nos Présidents et Conseils d’administration de la nécessité d’accepter et d’intégrer le fundraising. Imaginez comme ce serait soudainement simple si nous pouvions montrer que le fundraising aide directement nos bénéficiaires.
Quel fantastique et puissant outil cela pourrait être…
Jon Duschinsky
Directeur de Ressources non profit